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Mohamed Salah : portrait d’un joueur hors norme

L’Afrique a enfanté de nombreux grands footballeurs, de très grands même dont le camerounais Roger Milla, le ghanéen Abédi Pélé, le nigérian Jay-Jay Okocha, les algériens Rabah Madjer et Lakhdhar Belloumi, les marocains Ahmed Faras, Mohamed Timoumi et Aziz Bouderbala, les tunisiens Noureddine Diwa, Tahar Chaïbi, Sadok Sassi Attouga, Tarak Dhiab… Mais à notre avis, elle n’a donné naissance qu’à deux légendes : le liberien Georges Weah et surtout le franco-marocain Larbi Ben Barek.

Pour faire bref, nous nous contenterons de rappeler le Ballon d’Or remporté haut la main en 1995 par le premier, ainsi que son élection par la FIFA, la même année, meilleur joueur du monde. Quant au second, surnommé la Perle noire du Maroc et idole de l’incomparable Pélé, il suffit d’évoquer le témoignage de ce dernier à son propos :  » si je suis le roi du football, Ben Barek en est alors le dieu », pour réaliser l’exceptionnel joueur qu’il était. Le déroutant Egyptien Mohamed Salah est en voie d’inscrire son nom sur cette courte liste de privilégiés.

Un petit diable dans les 16 mètres

Pourtant, quand on dissèque son jeu et ses aptitudes footballistiques intrinsèques, on réalise qu’il n’a rien d’un foudre de guerre.

Technicien dribbleur ? Il l’est mais aucune comparaison avec Madjer ou Abédi Pélé. Passeur décisif participant souvent à la construction des actions ? Oui, seulement il n’égale pas la clairvoyance d’un Timoumi ou d’un Tarak Dhiab. Rapide ? Certainement, sauf que ses petites enjambées ne le feraient pas tenir à côté d’un feu follet tel que fut Chaïbi. Buteur patenté ? A n’en point douter, même si ses réalisations peuvent être rarement qualifiés d’anthologiques comme le furent souvent ceux de Weah ou de Faras.

Réunies, ces qualités -non optimales mais qu’il optimise- forment paradoxalement un tout explosif et façonnent Mohamed Salah l’étincelant, Mohamed Salah le magnifique, Mohamed Salah l’homme de tous les records, l’homme qui sait faire de ses insuffisances des atouts foudroyants.

En effet, les performances en football ne tiennent pas qu’aux aptitudes physiques et qu’au talent pur. Ils demeurent insuffisants face aux schémas tactiques -devenus une véritable science- qui ne peuvent être contournés et battus en brèche que si l’on est doté d’une intelligence supérieure, ainsi que du sens de l’assimilation tactique, de la lecture du jeu et de l’anticipation. En cela le Pharaon est maître.

Sinon, comment expliquer qu’il malmène aussi aisément des défenseurs plus forts, plus rapides et parfois aussi techniciens que lui?

C’est qu’il sait les endormir, deviner leur mouvement et choisir la fraction de seconde où ils sont déstabilisés pour les mettre dans le vent, et démontrer que dans un espace restreint, la vitesse de l’esprit est plus importante que celle des jambes.

En bête noire dans les 16 mètres, il a cette faculté de surgir, de surprendre et de frapper juste. Sa lucidité au plus fort des actions lui permet de venir de loin et de se placer là où l’attend le moins pour défier, malgré ses 175 centimètres, des gabarits de près de deux mètres et les devancer de la tête ou de la pointe du pied, logeant la balle au fond des filets. Décidément, de la matière grise, il en a à revendre.

Le Messi égyptien devient roi

A suivre ses mouvements sur le terrain, avec ou sans ballon, à le voir courir avec cette allure rappelant un jouet mécanique remonté à fond, on ne peut s’empêcher de le comparer aux antihéros de la littérature, tel Rastignac (La condition humaine de Balzac), ou de cinéma à la Woody Allen.

Comme eux, il devient attachant et c’est tout naturellement qu’oubliant les critères de la carrure, de l’aura et de l’élégance inhérents à l’image conventionnelle du footballeur-héros, on l’adopte et on se met à aimer et à admirer ce qu’il réalise.

D’autant que ni égoïste, ni pernicieux et encore moins tricheur, il fait invariablement preuve sur le terrain, d’une droiture et d’une correction à toute épreuve, envers aussi bien ses partenaires que ses adversaires.

Sobre, modeste et se dépensant à fond pour son équipe, il amènera en 2013 José Mourinho qui entraînait à l’époque le club anglais de Chelsea, à le recruter du F.C.Bâles, alors qu’il n’avait que 21 ans.

Réputé davantage porté sur les polémiques que sur les louanges, le portugais reconnaîtra quand même à Mohamed Salah « sa rapidité, sa créativité, son enthousiasme, son humilité sur le terrain et sa prédisposition à travailler pour l’équipe ». Il ne jouera hélas pas beaucoup et sera prêté au club de la Fiorentina puis vendu à l’A.S.Roma en 2015.

Dans ces deux clubs italiens, il étale toute sa maestria au point d’en devenir l’élément incontournable, indispensable. La presse n’hésite pas à le baptiser le Messi égyptien.

Des clubs plus prestigieux et plus nantis comme l’Inter de Milan, Manchester United ou Tottenham s’intéressent à lui, mais c’est Liverpool qui le lèvera au début de l’actuelle saison, en concédant le montant le plus élevé qu’il ait jamais consenti pour un transfert; soit 42 millions d’Euros (environ 45 millions de dollars), plus huit de bonus.

Une excellente affaire financière pour Rome qui l’avait acquis pour seulement 15 millions deux ans auparavant. Mais Liverpool n’a pas perdu au change. Loin de là…

Dès les premières journées, Mohamed Salah s’impose comme la pierre angulaire de l’équipe, à la fois baromètre, buteur et passeur. Le charismatique Jürgen Klopp, l’entraîneur allemand, le met au centre de ses schémas tactiques. Il trouve en lui le joueur qui le relaie sur le terrain.

Les résultats ne se font pas attendre et Salah explose littéralement, battant tous les records du championnat anglais. En effet, il est le seul à avoir été élu meilleur joueur du mois à trois reprises en une même saison. Il est sacré meilleur buteur du championnat avec 32 réalisations, franchissant la barre des 31 détenue par les mythiques Christiano Ronaldo, Luis Suarez et Allan Shearer. Le Syndicat des joueurs et l’Association des journalistes de football le plébiscitent meilleur joueur de l’année, outre le Ballon d’Or africain 2017 qui lui est revenu.

Difficile de faire mieux et ce n’est que justice quand l’icône l’historique de Liverpool, Steven Gerrard, déclare à son propos : « nous assistons à l’avènement d’un joueur immense », se mettant dans le sillage des supporters du club pour qui Mohamed Salah est l' »egyptian king » (le roi égyptien), un surnom scandé à chacune de ses apparitions.

Un revers plus reluisant encore

La finale de la Champions League que Liverpool a atteinte pour beaucoup grâce à lui, devait constituer l’apothéose d’une année exceptionnelle. La chance avec l’aide de Sergio Ramos, le capitaine du Real de Madrid, en ont décidé autrement.

Mohamed Salah, blessé à la clavicule, quittera le terrain au bout d’une demi-heure. Le rendement de son club changera complètement, permettant aux Espagnols de remporter pour la troisième fois consécutive la couronne.

Pris peut être par des remords et sachant que la blessure de Salah a pesé sur le résultat du match, Ramos lui enverra un message où il lui souhaitera prompt rétablissement en lui soulignant : « l’avenir t’appartient ».

Ses voeux sont partagés par tous les amoureux du football qui aimeraient le voir sous les couleurs égyptiennes lors de l’imminente Coupe du monde en Russie. Ils émanent également de tous ceux qui, dans son pays, ont été soutenus et entourés de sa sollicitude et de sa générosité.

En effet, et au-delà de dons et d’aides discrètes et parfois anonymes dont des confrères nous ont fait part, Mohamed Salah a offert 500 000 Euros (environ 600 000 dollars) pour l’équipement d’un hôpital pour enfants atteints de cancer.

Il a créé un institut de formation pour jeunes filles démunies, ainsi qu’une fondation qui s’occupe de 400 familles, de veuves, d’orphelins et de femmes divorcées dans le besoin.

Cela outre les gestes ponctuels dont a profité, par exemple, un jeune égyptien victime d’un accident où il a perdu les deux jambes. Sollicité, le joueur n’a pas hésité à prendre en charge son transfert en Allemagne, l’opération et la prothèse.

On nous dit aussi qu’il a énormément fait pour son village natal Nagrig, situé dans la province d’El Gharbia, où il a entre autres, installé un service d’urgences médicales.

Sans gagner autant qu’un Messi, un Neymar ou un Ronaldo, Mohamed Salah a vu le salaire qu’il percevait au F.C. Bâles (2500 Euros) quand il a été cédé par Al Mouqawiloun, son club égyptien d’origine, grimper à une vitesse vertigineuse au point que pour le garder, Liverpool lui proposerait de ni plus ni moins de doubler son salaire qui est actuellement de 460 mille euros mensuels, hors primes et autres avantages.
Le Real de Madrid qui lorgne de son côté, peut faire monter les enchères. Tant mieux pour le roi Mohamed Salah, le footballeur et l’homme, tous les deux si sobres, si modestes et tellement altruistes.

Va, nous t’aimons bien fils du Nil

Slah Grichi 
Source AA