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Des organisations de défense s’inquiètent « des dissolutions en chaîne qui s’inspirent des idéologies racistes »

dissolution CRI

Le gouvernement français vient de procéder, une nouvelle fois, à la dissolution d’une association musulmane. En effet, le conseil des ministres du 20 octobre 2021 a décidé de la dissolution de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI).

« Comme le détaille le décret que j’ai présenté, elle appelait à la haine, à la violence et à la discrimination », s’est aussitôt réjouit en annonçant la nouvelle, sur Twitter, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Il faut dire que cette dissolution n’est pas la première et probablement pas la dernière. En effet, le gouvernement a déjà, pour les même motifs, dissous l’association humanitaire musulmane Baraka City, le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) qui selon l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) est « une organisation antiraciste efficace qui faisait appliquer la loi antiraciste française ». En plus de ces associations, la Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA), Génération Identitaire et le Groupement de fait Les Loups Gris ont également subi les foudres du gouvernement.

Jamais de condamnation

Dans un communiqué publié le 22 octobre, l’UJFP explique que « le CCIF était son partenaire dans la Plateforme antiraciste luttant, avec la BAN, le CRAN et La Voix des Rroms, contre le racisme sous toutes ses formes ».

Mais avant tout, ce qui préoccupe l’association juive c’est que « ces associations n’ont jamais donné lieu à une inculpation de leurs militants par la Justice ». D’ailleurs, « aucune de leurs actions n’a jamais fait l’objet d’une condamnation », remarque encore l’association qui explique cela par le fait que « le pouvoir court-circuite la justice en employant une loi qui a été faite, dans les années 1930 pour dissoudre des organisations, fascistes très violentes dont l’objectif était l’instauration d’un régime de dictature ».

Dissolutions en chaîne

Pour les activistes des Droits de l’Homme, toutes ces dissolutions font craindre une « dérive autoritaire ». Les mises en garde des organisation internationales comme Amnesty International, Human Rights Watch ou encore la Ligue des Droits de l’Homme n’y changent rien. Pire encore, « la France d’Emmanuel Macron présente toutes les caractéristiques d’un pays qui connaît une imprégnation néofasciste », selon Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à la University College de Londres.

En effet, dans une tribune publiée le 3 septembre dernier, dans Middle East Eye, Marlière évoque « une France de 2021 de nouveau en proie à ses vieux démons, comme dans les années 30 et 40 ».

Toujours dans sa tribune, il affirme que « la liberté d’expression est brandie pour injurier, humilier et attaquer des minorités victimes de discriminations ou normaliser l’islamophobie, comme si exprimer des propos racistes et insultants était une liberté publique ».

« À la suite des attentats terroristes islamistes, le discours islamophobe et la répression antimusulmane ont été normalisés au sein même du gouvernement comme la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France sur des bases juridiques non établies. Le contrôle du corps des femmes racisées redouble, plus de 30 ans après les premières interdictions du port du hijab dans les écoles », observe encore le professeur.

Une première historique

C’est d’ailleurs cette situation qui inquiète l’UJFP qui voit « pour la première fois depuis un demi-siècle, le pouvoir dissoudre une maison d’édition : Nawa, qui se présente comme une maison d’édition ». Ainsi selon l’UJFP « la liberté d’écrire, d’imprimer librement est bafouée ».

De plus, comme dans les cas précédents, le décret de la dissolution du CRI indique que la Coordination « œuvre à cultiver le soupçon de l’islamophobie au sein de la société française ». Ainsi, selon l’association juive, « exprimer l’opinion que notre système politique crée de l’islamophobie est considéré comme un appel à la haine raciste ». De facto, un délit d’opinion est alors créé tacitement.

De même, le gouvernement avait accusé toutes ces associations musulmanes de « complicité de terrorisme ». Pourtant, lors d’un avis, le Conseil d’État a balayé la complicité inventée avec le terrorisme et rejeté le lien indiqué par Darmanin d’une implication dans l’assassinat de Samuel Paty.

En revanche, comme le rappelle l’UJFP, « le Conseil a aussi repris cette antienne de « l’incitation à la haine ».

En prenant acte de cette décision, l’association juive qui combat toutes les formes de racismes craint « que si dénoncer le racisme, c’est inciter à la haine alors tout le mouvement antiraciste est dans le collimateur ».

A qui le tour ?

Ce constat est partagé à peu près par une grande partie des mouvements antiracistes. Mais l’UJFP va beaucoup plus dans son analyse et estime que « pour le pouvoir macronien, qui s’inspire largement des idéologies racistes de l’extrême droite, les musulmans seraient potentiellement en rupture avec l’ensemble de la société française ». D’après l’association, le gouvernement a réussi « à inverser cause et conséquence ». Ainsi, l’association n’hésite pas à mettre le gouvernement face à ses contradictions « et son séparatisme qui met en danger le vivre-ensemble ».

Il faut dire que de plus en plus d’associations musulmanes, respectant scrupuleusement les lois, craignent d’être visées injustement. Car « l’argumentation pernicieuse utilisée, d’un « écosystème » du terrorisme permet, par amalgame, de considérer que tout ce qui en appelle aux musulmans pour lutter contre les discriminations fait le lit du terrorisme », estime l’UJFP.

« Ces amalgames sont redoutables et peuvent viser toutes les organisations progressistes, et vise déjà à travers de nombreuses mosquées, la liberté de culte », estime d’ailleurs l’association.

C’est en tout cas, l’amer constat qu’à fait la mosquée d’Allonnes qui a été accusée « de promouvoir le terrorisme et la haine contre les non musulmans » et qui subit une procédure de fermeture de 6 mois .

« Des prêches et l’activité de ce lieu de culte légitiment le recours au jihad armé, la mort en martyr, la commission d’actes de terrorisme, le recours à la violence, la haine et la discrimination ainsi que l’instauration de la charia (…) (Le lieu de culte serait) fréquenté par des individus appartenant ou proches de la mouvance islamiste radicale. » « L’école coranique est également mise en cause, elle exposerait environ 110 enfants à des enseignements valorisant le jihad armé et servirait donc de « lieu d’endoctrinement » », écrit France Bleu.

Inverser cause et conséquence

Autant d’accusations aussi graves mais toujours sans accusés. D’ailleurs l’avocat de la mosquée dénonce, depuis ces accusations « que la charge de preuve soit inversée ». En effet, ces accusations viennent uniquement d’une note blanche, c’est-à-dire d’une note d’un membre des renseignements et la mosquée doit prouver que ce c’est faux. Dans une démocratie normale, il sera à la charge de l’accusateur de prouver les délits incriminées mais désormais la situation s’est inversée en France

Enfin pour conclure, l’UJFP s’interroge « sur le sens de ce durcissement autoritaire » avant de répondre que « certains y voient un moment passager, d’autres y voient le retour à l’autoritarisme natif de la 5e République ».

En tout cas, à quelques mois de l’élection présidentielle, le climat semble se détériorer de plus en plus. En effet, plus les partis dits du centre concèdent à l’extrême-droite, plus l’extrême-droite revient avec des propositions encore plus liberticides.

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