Les relations tumultueuses entre Alger et Paris trouvent évidement leur source dans le passé colonial de la France, à travers les crimes de guerre perpétrés d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, par les autorités françaises.
Colonisée dès 1830, l’Algérie se soulève en 1954, année qui marquera le début de la guerre d’indépendance mais constituera surtout le point de départ de massacres, et crimes coloniaux directement orchestrés par Paris.
Les prémices de la répression
Le 1er novembre 1954 marque un tournant majeur dans l’Histoire de l’Algérie. En une journée, soixante-dix attentats sont perpétrés dans une trentaine de villes. Bilan : 10 morts.
Les opérations sont, à l’époque, pilotées par le Front de Libération Nationale (FLN) tout juste constitué, qui déclenche une insurrection sans précédent contre le régime colonial français. Ce sera le début de la Révolution algérienne, et d’un conflit sans merci, qui durera huit ans et fera de nombreuses victimes. Les chiffres font état d’un million et demi de martyrs selon les Algériens, et au moins 300 mille morts selon les historiens.
Cette nuit de la « Toussaint rouge », parallèlement aux attaques dans le pays, le FLN fait diffuser un texte, la «Déclaration du 1er novembre 1954″. Le mot d’ordre est donné. Il réclame «la restauration de l’Etat Algérien, souverain, démocratique et social dans le cadre des principes de l’Islam ».
La riposte française intervient alors dès le 5 novembre, quand le ministre français de l’Intérieur de l’époque, François Mitterrand (président de la République 1981-1995), déclare que « la seule négociation, c’est la guerre», avant de préciser, deux jours plus tard, que «l’Algérie c’est la France, et que la France ne reconnaîtra pas, chez elle, d’autre autorité que la sienne».
Ces deux déclarations, ne laissent que peu de doute sur la méthode qui sera employée par Paris pour faire cesser la progression du soulèvement indépendantiste. Le Premier ministre Pierre Mendès-France prendra de son côté la parole face à l’Assemblée Nationale pour faire savoir qu’« à la volonté criminelle de quelques hommes, doit répondre une répression sans faiblesse ». Sans l’ombre d’une hésitation, la France choisit de réprimer.
Les massacres s’enchaînent
Dès août 1955, l’un des plus sanglants massacres vient assombrir l’histoire coloniale française. Pour punir les actions d’indépendantistes dans la région de Constantine, les colons français se livrent alors à une répression aveugle et sans commune mesure.
Des milliers d’Algériens sont capturés, emprisonnés et exécutés avant d’être enterrés dans des fosses communes. Les décomptes font état de 2 mille victimes à Skikda, près de 800 à El-Harrouch, 60 à El-Khroub mais les archive des autorités françaises mentionnent 1273 morts.
Le 11 mai 1956, l’armée française massacre des dizaines de villageois à Beni Oudjehane (Est algérien, gouvernorat de Jijel). La presse raconte alors que des rebelles ont été abattus après avoir attaqué des militaires mais l’historienne Claire Mauss-Copeaux, qui s’est plongée en 2013 dans les archives en allant à la rencontre des habitants du village, établira en réalité que le massacre fait suite à une toute autre histoire.
Alors que les musulmans célébraient ce 11 mai la fête de l’Aïd El-Fitr, un militaire français a tenté d’agresser une petite fille en abusant d’elle.
En venant à son secours, le père de la victime est alors abattu. Mais le soldat auteur de l’agression, essuiera lui aussi un tir qui lui coûtera la vie. Réagissant en représailles pour ce drame, les militaires français décident d’abattre tous les hommes du village. 79 Algériens sont exécutés.
Mais en réalité, ces massacres et ce modus operandi utilisé par la France ne débute pas avec la guerre d’Algérie.
Domination de la population
Le 8 mai 1945, alors que la France est officiellement libérée des Nazis, elle décide de réaffirmer, par le sang, sa domination sur les populations algériennes.
Ce jour d’armistice marque le massacre de Sétif, Guelma et Kherrata. Au cours d’une manifestation, un jeune homme brandit un drapeau algérien dans le cortège. Les policiers français sur place décident d’ouvrir le feu et abattent de nombreux participants.
S’en suivront plusieurs semaines d’exécutions sommaires qui conduiront à la mort d’au moins 20 mille Algériens.
Ces tirs « se font par habitude, parce que ce sont des arabes que l’on a en face », a déploré Michel Tubiana, ancien président de la Ligue des Droits de l’Homme, à l’antenne d’Europe1, plaidant pour une reconnaissance officielle de ce massacre par la France.
L’action de l’armée a été « réfléchie et construite pendant deux mois, à la fois par des milices et par l’armée française », dénonce Michel Tubiana.
Le 17 octobre 1961, les Algériens sont jetés dans la Seine
Alors que la France vient de décider d’appliquer un couvre-feu aux « musulmans d’Algérie », le FLN appelle les Algériens à boycotter ce couvre-feu en manifestant à Paris.
C’est ainsi que le 17 octobre 1961, près de 10 mille Algériens se retrouvent dans les rues de Paris pour protester contre cette mesure discriminatoire, réclamer l’indépendance de leur pays et mettre fin à la colonisation.
Le préfet Maurice Papon ordonne alors aux fonctionnaires de Police d’intervenir. Ils utiliseront matraques et armes à feu pour venir à bout du rassemblement, et jetteront des dizaines d’Algériens dans la Seine, ne leur laissant aucune chance de survie.
Le bilan officiel faisait état de trois morts et quelques blessés mais les chercheurs révéleront par la suite que le bilan serait bien plus dramatique, avec un nombre de tués estimé à 325 Algériens.
« Ils frappaient sans arrêt et on était obligé de marcher sur les plus faibles qui étaient tombés au sol pour continuer d’avancer », expliquait en 1991, un survivant de ce terrible massacre dans un reportage pour France 2.
Dans la même soirée, la police française a organisé une gigantesque rafle à la sortie des stations du métro parisien. 11.535 survivants seront arrêtés et emmenés dans un « centre de tri » improvisé au Palais des sports de la porte de Versailles, via des bus réquisitionnés, rappelant évidemment la rafle du Vel d’hiv qui avait eu lieu dix-neuf ans plus tôt.
Les hôpitaux de Paris continueront de voir arriver des blessés pendant les trois jours qui suivront cet épisode sanglant, signe que les violences policières ont continué d’être exercées au sein même du « centre de tri ».
Quelle reconnaissance?
Plus de soixante ans plus tard, les plaies de ce conflit, où les pires tortures ont été perpétrées sous couvert des autorités françaises, ne se sont toujours pas refermées et laissent toujours leur ombre sur une relation « passionnelle » entre les deux pays.
Toutefois, depuis l’accession au pouvoir du président Macron, les relations diplomatiques entre les deux pays ont eu tendance à avoir un nouveau souffle.
« Je reviens dans l’état d’esprit d’un ami de l’Algérie, d’un partenaire constructif qui souhaite renforcer nos liens (…) pour faire fructifier une relation déjà dense », avait confié le chef de l’Etat français au quotidien algérien El Watan lors de son dernier voyage officiel en décembre 2017.
Dans un décret paru le 12 avril dernier au Journal Officiel français, le gouvernement a ouvert une partie des archives relatives aux disparus de la guerre d’Algérie.
Cette démarche « prévoit la libre communication, avant l’expiration des délais prévus (…), de dossiers relatifs aux disparus de la guerre d’Algérie établis par la commission de sauvegarde des droits et libertés individuelles et conservés aux Archives nationales ».
L’ouverture partielle de ces archives, conjuguée au fait que le président Macron ait officiellement reconnu que Maurice Audin, mathématicien communiste, militant de l’indépendance de l’Algérie était « mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France », pouvaient laisser penser à une volonté du nouveau président de rompre définitivement avec le passé colonial de l’Hexagone.
L’histoire contemporaine a pourtant montré que la France a une responsabilité manifeste dans le chaos libyen, depuis l’intervention de Nicolas Sarkozy qui a contribué à la chute de Kadhafi en 2011.
Feïza Ben Mohamed, journaliste et militante antiraciste
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