A 19 jours du premier tour de l’élection présidentielle française, les onze candidats en lice s’affrontaient mardi soir au cours d’un débat télévisé diffusé sur BFMTV et CNEWS. C’est la première fois dans l’histoire française qu’était organisé un débat réunissant la totalité des aspirants à l’Elysée. Et ça s’est ressenti.
Dense, parfois brouillon, l’exercice a obligé plusieurs fois les journalistes qui menaient les échanges à intervenir pour distribuer la parole, au risque de se faire rabrouer. Sur le fond, le débat a surtout permis de révéler les « petits candidats » qui, à l’image de Philippe Poutou, n’ont pas épargné les favoris.
Marine Le Pen et François Fillon attaqués frontalement sur les affaires
Et ça a débuté fort. Si Jean-Luc Mélenchon a fustigé, lors du premier débat il y a deux semaines, « la pudeur de gazelle » de ses adversaires qui ont évité d’aborder le sujet des affaires, Nicolas Dupont Aignan ne s’est pas encombré de manières.
Dès sa présentation, le candidat de Debout la France a ouvert les hostilités en déclarant : « J’ai toujours servi les Français sans me servir », référence indirecte à François Fillon. Le candidat NPA Philippe Poutou lui a emboîté le pas en attaquant « les politiciens corrompus » et les « ultrariches », estimant être le seul, avec la candidate du part Lutte Ouvrière (LO), Nathalie Arthaud, à avoir un vrai travail.
C’est aussi à lui qu’on doit une des séquences les plus remarquées du débat. Interrogé sur la moralisation de la politique, Philippe Poutou a livré le fond de sa pensée, sans filtre: «Question moralité, on est servis depuis quelques temps (…) Fillon, que des histoire, plus on fouille, plus on sent la corruption et la triche. On a aussi Marine Le Pen, pareil, on pique dans les caisses publiques et le FN, qui est antisystème, ne s’emmerde pas car se protège grâce à l’immunité parlementaire ».
Et quand les deux intéressés ont tenté de l’interrompre, il a enfoncé le clou d’une phrase, qu’on retiendra comme la plus percutante de la soirée : « Nous, quand on est convoqué par la police, on n’a pas d’immunité ouvrière. Le problème des politiques, c’est la professionnalisation de la politique. Les hommes politiques sont déconnectés, surpayés, c’est écoeurant ».
Passe d’armes sur l’Europe
Autre moment fort: interrogés sur l’Europe, les candidats se sont invectivés sur la question de la suppression ou non de la directive européenne sur les travailleurs détachés. Nicolas Dupont Aignan, qui souhaite sa suppression, a critiqué la position d’ Emmanuel Macron, favorable à son maintien. « On oublie de dire à chaque fois qu’il y a près de 300 000 français qui sont travailleurs détachés. Donc vous irez leur expliquer les uns les autres que dès demain, c’est fini pour eux ! », a répliqué le candidat « En Marche », répondant par la même occasion à Marine Le Pen.
Jean-Luc Mélenchon n’a pas manqué de rappeler à cette dernière qu’elle s’était « abstenue » au moment du vote du texte au Parlement Européen. Une affirmation qu’elle a essayé de contourner sans la nier en assurant ne pas vouloir de cette directive de détachement « profondément injuste parce qu’elle créé une priorité étrangère à l’emploi». Ironique, Jean-Luc Mélenchon lui a répondu: «Je lui ai dit qu’elle s’était abstenue, elle en convient, tout me va». De son côté, le candidat de l’UPR François Asselineau a appelé à une sortie de l’UE et a joué le professeur en énumérant avec précision tous les articles qui posent problème.
Sur le sujet de l’emploi et de la fonction publique, Benoît Hamon, jusque là discret, a signifié ses divergences avec le candidat LR: « J’ai un désaccord total avec François Fillon sur la manière dont il voit l’avenir de notre pays » a-t-il déclaré, en réponse à la proposition du candidat LR de supprimer 500000 postes de fonctionnaire : « Lors de la crise financière, les fonctionnaires ont tenu le pays ! Lorsqu’ils se lèvent le matin, ils ne se lèvent pas comme des fonctionnaires, mais comme des infirmières, des gendarmes (… ) J’aime la fonction publique».
« Vous l’aimez tellement que vous allez ruiner le pays » a rétorqué François Fillon, avant de se voir répondre: « Vous avez ruiné le pays et vous venez nous donner des leçons ? (…) Nous devons donner plus d’effectifs, revaloriser les carrières, plus de profs… ».
« Foutez-nous la paix avec la religion ! »
François Fillon, effacé durant la première partie du débat, a retrouvé sa zone de confort sur la question du terrorisme, appelant à « vaincre le terrorisme islamique » et juger les djihadistes de retour en France pour « intelligence avec l’ennemi ». Sur ce point, la candidate frontiste lui a reproché d’avoir « supprimé 54000 militaires » lorsqu’il était premier ministre, permettant à la France de devenir « une université de djihadistes ». « N’importe quoi ! » lui lance Benoît Hamon, exaspéré « Daech ça vous arrange Madame Le Pen, ça vous fait prospérer ! ».
Pour Nathalie Arthaud, la candidate frontiste et François Fillon « creusent un fossé dans la population » et se saisissent de chaque attentat pour « faire des amalgames entre terroristes, immigrants et musulmans ».
Un sujet qui en a lancé un autre épineux: celui de la laïcité, qui est intervenu indirectement dans le débat, après que Marine Le Pen, interrogée sur ses propositions pour réformer les institutions, a proposé d’inscrire dans la Constitution le « droit de défendre notre patrimoine culturel et historique ».
Invitée à préciser sa pensée par Jean-Luc Mélenchon, elle a défendu l’installation de crèches « qui font partie de notre patrimoine » dans les mairies. « Foutez-nous la paix avec la religion ! lui a lancé le candidat de la France Insoumise. Vous voulez mettre des symboles religieux dans nos mairies ? C’est ça votre laïcité ?». Pour Nathalie Arthaud, la laïcité n’est qu’un « paravent » pour Marine Le Pen et « sert en réalité à dénoncer l’islam et se mettre en travers d’autres pratiques religieuses ».
Source AA
FKA