Prolongation de l’état d’urgence
La volonté du gouvernement français de prolonger encore l’état d’urgence suscite des inquiétudes quant à la suspension de l’Etat de droit et les atteintes aux droits fondamentaux après les attentats de Paris, relève l’association La Quadrature du Net.
Le gouvernement français, qui souhaite à nouveau prolonger l’état d’urgence, imposé à toute la France suite aux attentats de Paris et prorogé pour trois mois à partir du 26 novembre, pourrait chercher à « pérenniser » cet état exceptionnel accordant des larges compétences à la police.
L’état d’urgence, prolongé et étendu suite à l’adoption d’un projet de loi par l’Assemblée nationale, permet à la police de procéder à des perquisitions administratives, sans autorisation judiciaire préalable et d’assigner à résidence les individus dont « l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics ».
Le projet de loi constitutionnelle que l’Assemblée nationale est tenue d’examiner bientôt, pourrait permettre que ce dernier soit prolongé « pendant une durée maximale de six mois ». Dans le cadre de ce projet de loi, le ministère de l’Intérieur envisage d’étendre sa mainmise sur Internet, notamment par l’interdiction des wi-fi libres et partagés ainsi que des réseaux privés virtuels (VPN).
L’Etat de droit risque d’être « suspendu » en France au profit des forces de l’ordre et des services de renseignement à mesure que l’état d’urgence s’installe dans la durée, mettent en garde les experts, dans leur commentaire à Anadolu.
« Attendre le contexte idéal » pour renforcer la police
Le gouvernement français qui a pris une série de mesures sécuritaires inédites après les attentats du 13 novembre donne « l’impression d’avoir une prise sur la situation » et de faire avancer certaines lois qui ne « pourraient peut-être pas être votées en situation normale », explique Adrienne Charmet, porte-parole de la Quadrature du Net, association française de défense des libertés publiques sur Internet.
L’exécutif attendait « le contexte idéal » pour renforcer la police, un projet qui restait « dans les cartons depuis longtemps », estime encore la porte-parole dans son commentaire. Le gouvernement avait notamment doté les services de renseignement des compétences considérables après les attentats de Charlie Hebdo, rappelle-t-elle.
« Ce qui est très inquiétant et problématique, c’est comme si on considérait que l’Etat de droit normal ne permettait pas de gérer la situation et d’assurer la sécurité publique », regrette Charmet, fustigeant les raisons avancées par l’exécutif pour prolonger l’état d’urgence.
L’interconnexion des fichiers personnels entre différentes administrations publiques, également prévue dans le cadre du nouveau régime d’état d’urgence « porte atteinte de manière très lourde à la vie privée », déplore encore la membre de la Quadrature du Net. Et d’ajouter: « On est en train de détruire complètement tout l’appareil de la protection de la vie privée des citoyens ».
L’état d’urgence devient « permanent »
Le gouvernement français envisagerait par ailleurs d’ »introduire des périodes de sortie progressive [de l’état d’urgence] selon les situations » au lieu d’une sortie immédiate, selon un responsable du Matignon, cité par Le Monde.
Charnet a indiqué y voir une volonté de la part du gouvernement « pérenniser » l’état d’urgence en France. « L’état d’urgence devient un état permanent, et contrairement à ce que dit le gouvernement, ce n’est pas un Etat de droit tel qu’il fonctionne de manière normale dans une démocratie », estime-t-elle.
Evoquant l’interdiction des manifestations contre la Conférence de Paris sur le climat (COP21) dans le cadre de l’état d’urgence, la porte-parole a dénoncé les critères « arbitraires » de la police, qui vont au-delà de la menace terroriste.
« Plus l’état d’urgence se prolonge et s’installe plus l’atteinte aux droits fondamentaux est importante », a-t-elle poursuivi.
Les attentats de Paris imposent des « nouvelles règles de jeu » pour la police
L’idée du contexte idéal pour renforcer la police fait aussi écho aux Etats-Unis où les politiques sécuritaires sont remises en causes depuis les attentats de Paris et à l’horizon des élections présidentielles de 2016.
John Brennan, directeur de la CIA, s’exprimant peu après les attentats de Paris sur la compétence des services de renseignement pour affronter la menace terroriste, estimait que le pouvoir judiciaire rendait la traque des terroristes « plus difficile ». Les services secrets devraient être équipés des meilleurs outils de surveillance, affirmait encore Brennan.
Les attentats de Paris imposent des « nouvelles règles de jeu » pour la police, tranchait pour sa part William J. Bratton, commissaire de police de la ville de New York, notamment en terme des mises sur écoute et des perquisitions administratives.
Robert Litt, directeur juridique adjoint du Bureau du directeur du renseignement national (ODNI) aux Etats-Unis, notait dans un e-mail, obtenu par le quotidien Washington Post, que les législations sont en général « hostiles » à l’idée d’un renforcement des compétences des services secrets, tout en ajoutant que cela pourrait « changer en cas d’un attentat terroriste ».\
– « On ne peut pas condamner une société entière pour les crimes de quelques individus »
La crainte d’une atteinte aux droits fondamentaux après les attentats de Paris est également observée en Belgique, dont le gouvernement a adopté des nouvelles mesures sécuritaires après le 13 novembre tout en maintenant l’alerte terroriste à son plus haut niveau à Bruxelles pendant plusieurs jours.
Dans le cadre de ces mesures, les forces de l’ordre seront dotées d’un budget supplémentaire de 400 millions d’euros tandis que le délai de détention préventive passera de 24 à 72 heures. Le gouvernement autorise aussi les perquisitions 24 heures sur 24, en cas d’infraction terroriste.
Les nouvelles mesures du gouvernement belge sont « antidémocratiques », estime Bashy Quraishy, Secrétaire général de l’Initiative des Musulmans Européens pour la Cohésion Sociale (EMISCO).
« On ne peut pas condamner une société entière pour les crimes de quelques individus », martèle Quraishy dans son commentaire, s’opposant aux mesures de surveillance généralisée.
« Traquer tout une société revient à ce que font les terroristes », note encore le responsable d’EMISCO, appelant à faire distinction entre la communauté musulmane et les individus qui commettent des crimes.