A la suite de l’explosion, qui a secoué le port de Beyrouth, le Liban a connu une large campagne de solidarité, en provenance de nombreux pays du monde, qui ont dépêché des aides médicales immédiates, en particulier, la Turquie qui a été en tête des pays qui ont soutenu le peuple libanais. Mais en plus de la solidarité turque avec le Liban, les libanais ont vu une nette différence de la diplomatie turque.
La Turquie ne s’est pas contentée d’envoyer des aides et des équipes de sauvetage et de secours. En effet, le vice-président, Fuat Aktay, le MAE Mevlut Cavusoglu et d’autres responsables turcs sont arrivés, à Beyrouth, où cette délégation de haut niveau s’est entretenu, avec le président Michel Aoun.
La délégation a tenu à souligner que la Turquie mettra à la disposition du Liban ses capacités dans les domaines de l’aide, des secours, de traitement des blessés et des personnes touchées dans ses hôpitaux, tout en se préparant à la reconstruction du port de Beyrouth et de la restauration des maisons, des institutions et des routes touchées par la déflagration.
Le 4 août courant, une puissante déflagration avait secoué, le port de Beyrouth, faisant 171 morts et plus de 6 mille blessés ainsi que des centaines de personnes, encore portées disparues, et des dégâts matériels, estimés à 15 milliards de dollars, selon un bilan officiel, non-encore définitif.
La visite de la délégation turque, qui a fait preuve d’un haut sens de la diplomatie dans le traitement du gouvernement libanais, a été précédée par un autre déplacement d’Emmanuel Macron, au Liban.
Macron a pris les Libanais de haut
Des observateurs ont estimé que les deux visites étaient séparées d’un vaste gap, en termes d’attitude et de traitement avec les responsables libanais. Alors que la délégation turque a préservé et maintenu sa diplomatie et les fondements de ses relations fraternelles avec le Liban, Macron a affiché, face aux responsables libanais, une attitude d’un commissaire venu réhabiliter l’époque du mandat français dans le pays du cèdre.
L’ancien député du bloc du « Courant d’al-Moustakbel », Khaled Dhaher a déclaré à Anadolu Agency, que « la dimension politique était dominante dans la position française lors de la visite de Macron. L’accent a été émis sur un rôle politique lié à une histoire coloniale française au Liban ».
Cela est apparu, a-t-il dit, à travers le traitement hautain réservé par Macron au président libanais, Michel Aoun, et au Liban. Le président français a été indélicat envers Aoun et le pouvoir en place en affichant publiquement le fait qu’il n’a pas confiance en eux et qu’il ne les respecte pas.
En contrepartie, a ajouté l’ancien parlementaire, la Turquie a dépêché le vice-président, des équipes de secours et de sauvetage ainsi que des associations, comme aucun autre pays ne l’a fait. De plus, la Turquie a envoyé, mardi, un bateau chargé de blé, un acte hautement important, d’autant plus que les réserves libanaises de blé s’amenuisent.
« Depuis les premiers instants de l’explosion du port de Beyrouth, la position de soutien de la Turquie à l’égard du Liban était claire, et s’est concrétisée à travers l’envoi d’aides médicales et alimentaires et le soutien politique ainsi que les prédispositions à reconstruire le port et les bâtiments environnants, tout en ouvrant les portes des hôpitaux turcs aux blessés. Il y avait un soutien et des aides illimitées », a-t-i poursuivi.
Le haut sens diplomatique de la délégation turque
Le rôle turc, a indiqué Dhaher, était clair, « malgré le fait que certains médias aient, délibérément, ignoré ce rôle, en évitant même de mentionner les aides offertes par Ankara à Beyrouth. Cela montre qu’une partie libanaise rejette le rôle de la Turquie, envers qui elle ressent de la haine et de l’envie ».
« Nous avons également observé que la délégation turque a été accueillie chaleureusement par les citoyens qui ont salué la délégation ».
Khaled Dhaher
S’agissant de la visite du président français, l’analyste politique Wael Nejm a estimé que « Macron a pris de haut la classe politique libanaise, tel un haut commissaire en poste à l’époque du mandat français ou de l’occupation après la première Guerre mondiale. Il a affiché du mépris à l’égard de cette classe politique ».
Dans un entretien accordé à Anadolu Agency, Nejm a souligné que « Macron a refusé de serrer la main le président libanais alors qu’il l’a fait avec les citoyens à Gemmeyzé, tout en s’ingérant dans les affaires intérieures libanaises, ce qui nous renvoie à l’annonce faite par le général Gouraud au sujet du Grand Etat du Liban en septembre 1920 ».
Le 1er septembre 1920, le général Gouraud a annonce l’Etat du Grand Liban, après le traçage des frontières du pays, qui était soumis au pouvoir de l’Empire ottoman, proclamant Beyrouth comme capitale. Le drapeau du Liban de l’époque était la bannière française avec l’arbre libanais du cèdre au milieu.
Le respect de la diplomatie turque envers le Liban
Parallèlement à cela, Nejm a affirmé que la « délégation turque a fait montre das le traitement réservé au Liban d’un haut sens diplomatique et d’un grand respect, qu’il s’agisse de ses contacts avec le pouvoir en place ou avec la population. Il s’agit d’un traitement envers une autorité établie et légale, qui bénéficie de la confiance de la chambre des députés, indépendamment du soulèvement populaire et du ras-le-bol à l’endroit de la classe politique ».
Dans la rue libanaise, la délégation turque a fait preuve d’une fraternité certaine, qui a illustré, si besoin est, la fusion entre la délégation et les Libanais qui voyaient en cette présence turque un espoir », poursuit l’analyste politique.
Nejm a, par ailleurs, procédé à une comparaison entre les aides offertes par les deux pays. « Macron a appelé à la tenue d’une Conférence à Paris (organisée dimanche) pour un groupe de pays susceptibles d’offrir des aides au peuple libanais. De son côté, la délégation turque a offert des aides d’urgence, médicales et alimentaires, et dépêché des groupes et des unités de sauvetage pour enlever les décombres et chercher les cadavres dans les lieux de l’explosion », a-t-il expliqué.
Engagement de la Turquie
« La délégation turque a mis à la disposition de l’Etat libanais le grand potentiel et les innombrables capacités de la Turquie et s’est engagée à reconstruire, à nouveau, le port de Beyrouth, ce qui constitue un service imminent. De plus, la Turquie a mis le port de la ville de Mersin à la disposition de l’Etat libanais, ce qui révèle un haut sens de la responsabilité et une position éthique et sentimentale remarquable envers le Liban et son peuple », a insisté l’analyste politique.
« Il existe une différence notoire dans le discours utilisé par la Turquie envers le gouvernement et le peuple libanais et la méthode adoptée par le président français à l’endroit du gouvernement et du peuple aussi », a-t-il indiqué.
Nejm a tenu à rappeler que la Turquie « n’a aucune convoitise et n’a lancé aucune tentative pour étendre son influence au Liban. L’attitude turque et l’initiative turque relève exclusivement des sentiments mutuels entre les deux pays et les deux peuples frères ».
« Les attaques lancées à l’endroit de la Turquie dans le milieu médiatique, qui accuse Ankara de tenter d’étendre son influence, tout en feignant d’ignorer l’influence française au Liban, a pour motivation la volonté de recueillir la sympathie voire la compassion et le soutien de certains pays arabes, hostiles, malheureusement à la Turquie, et qui initient des politiques qui lui sont opposées dans la région , tout en craignant la présence turque à l’échelle du Monde musulman », a-t-il insisté.
Macron est venu avec deux discours contradictoires
De son côté, l’analyste politique libanais, Mounir Errabi’, a estimé que Macron est venu au Liban, avec deux discours contradictoires.
« Dans le premier, il affiche aux gens et aux manifestations son soutien ainsi qu’à la révolution, tandis que lors des rencontres politiques, il appelle à la formation d’un gouvernement d’union nationale, ce qui est en soi une contradiction », a-t-il dit.
Dans une interview accordée à Anadolu Agency, l’analyste politique a relevé que « Macron a voulu dire aux gens qu’il ne traite pas avec les forces politiques et lors de ses rencontres avec les citoyens, il a appelé Aoun au départ ».
« Les deux visites, française et turque, sont placées dans le cadre de la concurrence entre ces deux pays au Liban. Le français focalise l’attention sur le port de Beyrouth, la Méditerranée et sur l’accord avec la Grèce et Chypre et l’Egypte pour contrecarrer l’intervention turque, dès lors qu’il souhaite confronter la Turquie depuis le Liban jusqu’à la Libye », a-t-il expliqué.
« Le turc, de son côté, veut venir en aide au Liban, pariant sur les relations historiques séculaires et sociales avec de larges franges de la société libanaise, et c’est la raison pour laquelle nous assistons à cette concurrence franco-turque dans la région », a-t-il encroe dit.
Et Errabi’ de conclure : « Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, vient aujourd’hui en Egypte pour parachever les tentatives françaises, illustrant ainsi les convergences stratégiques entre Paris et Le Caire pour contrer l’influence turque en Libye et en Méditerranée » .
2750 tonnes de nitrate
Selon des estimations officielles non-encore définitives, l’explosion a eu lieu dans l’entrepôt 12 du port, qui contenait quelque 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, un matériau hautement explosif.
Par ailleurs, l’explosion a poussé, sous la pression populaire, le gouvernement de Hassan Diab, à la démission. En place depuis le 11 février, le cabinet de Diab venu remplacer le gouvernement de Saad Hariri, a dû démissionner donc à son tour à la démission, le 29 octobre dernier, après des protestations populations et des revendications politiques et économiques.
La gigantesque déflagration du port vient approfondir les douleurs d’un pays, qui souffre depuis plusieurs mois, de la pire crise économique de son histoire contemporaine et d’une polarisation politique aiguë, dans un paysage où s’interfèrent des parties et protagonistes régionaux et internationaux, aux visées opposées.