La Grande Assemblée nationale turque a adopté un ensemble de mesures qui réglementent les réseaux sociaux en Turquie.
Immédiatement, les médias français ont dénoncé « une loi de censure », « asphyxie des réseaux sociaux », « restriction de la liberté d’expression » oubliant au passage que de nombreux pays, dont la France, ont pris des mesures similaires concernant les plateformes sociales.
« La rapidité et le caractère massif de la diffusion des contenus sur les réseaux sociaux pose un problème de contrôle, car des informations contestables peuvent avoir un impact très important sur le déroulement d’élections, sur la formation de l’opinion publique, ou simplement sur la santé mentale d’une personne attaquée massivement. Face à ce phénomène, les plateformes numériques, plutôt passives jusqu’à aujourd’hui, passent à l’action, et prennent l’initiative de supprimer ou d’étiqueter des contenus estimés contestables », écrivait ainsi dans son édition du 31 juillet, le journal français France Soir.
« Qui décide de ce qui peut être diffusé sur une plateforme, ou de ce qui peut être catégorisé “fake news” par un média ? », s’interrogeait également le même journal.
La loi française concernant les réseaux sociaux
Le Parlement français avait adopté, mercredi 13 mai, la proposition de loi visant à « mettre fin à l’impunité » de la haine en ligne. Ainsi, depuis juillet, les plateformes et moteurs de recherche ont donc l’obligation de retirer sous 24 heures les contenus « manifestement » illicites, sous peine d’être condamnés à des amendes pouvant aller jusqu’à 1,25 million d’euros.
En fait, les parlementaires visaient surtout les incitations à la haine, la violence, les injures à caractère raciste ou encore religieuses. La France avait alors choisi la voie du « simple signalement » par les internautes du contenu jugé illicite pour obliger les réseaux sociaux à les supprimer. Or, le Conseil Constitutionnel avait rejeté en juin dernier un certain nombre de mesures, arguant notamment « l’absence de jugement ».
Philippe Cohen, président de l’association « Respect Zone », une association qui milite pour les droits des victimes sur Internet avait alors qualifié la décision « de censure-sanction qui ne donne pas de pistes sur la manière de protéger les internautes, notamment les mineurs ». « Internet continuera donc pour longtemps d’être une zone de lynchage autorisée », regrettait-il dans une interview à la presse française.
Un problème très complexe
Pourtant, il existe bien un problème réel et sérieux sur internet tout aussi nuisible que les faits condamnables qui sont commis quotidiennement hors du monde numérique. Conscient du problème, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a jugé dans un rapport publié le 30 juillet, que les réseaux sociaux et les plateformes en ligne « devaient cependant être plus transparents et efficaces ».
Le CSA a en effet demandé aux principales plateformes en lignes telles que Google, Facebook et Twitter de répondre à des questions sur leurs processus de repérage de faux contenus.
Ainsi, le CSA se félicite que «d’une manière générale les opérateurs suivent plusieurs de ses recommandations mais espère qu’ils approfondissent les mesures ».
En revanche, le CSA regrette que « la mise en place de dispositifs de signalement des intox ne se soit pas simplifiée et que les utilisateurs soient peu informés sur la suite de la procédure ».
Les signalements aux réseaux sociaux en Turquie passent à la trappe
Internet n’est pas une zone de non droit. Le fait que les réseaux sociaux soient des compagnies étrangères ne leur permet pas d’outrepasser les lois de la France ou de la Turquie.
Pourtant, selon des données publiées régulièrement par les réseaux sociaux, on constate une grande différence de traitement entre les pays européens et la Turquie.
En effet, d’après les données concernant la période de janvier à juin 2019, Twitter a restreint seulement 5% des demandes d’information émises par la Turquie contre 9% pour la France et 32% pour l’Allemagne. De plus, Twitter a restreint 34% des contenus en Russie et 19% au Brésil.
En revanche, la disparité est encore plus flagrante lorsqu’il s’agit de demander des informations sur le propriétaire d’un compte.
Ainsi pour la même période, les USA ont demandé l’identité de 2 120 personnes et ont obtenu un taux de satisfaction de 70% de la part de Twitter. De son côté, sur les 1 746 requêtes effectuées, le Japon a reçu 52% des informations demandées.
Quant à la France, elle a ainsi exigé que Twitter révèle l’identité de 549 personnes et ce dernier a fourni 56% d’entre elles. De même le Royaume-Uni a été satisfait à 67% sur les 658 comptes sur lesquels les autorités ont effectué une réclamation.
Pourtant Twitter n’a fourni aucune identité des 350 comptes signalés par la Turquie.
Ainsi, bien que le pays ait formulé un nombre inférieur de demandes d’informations par rapport à la France, aucune des requêtes réalisées par la Turquie n’a reçu de réponse. Faut-il pourtant rappeler que le pays subit régulièrement des attentats de la part des organisations terroristes qui se réjouissent de ces attentats sur les réseaux sociaux.
Fin de l’impunité sélective sur les réseaux sociaux en Turquie
Pour toutes ces raisons, la Turquie et son président, Recep Tayyip Erdogan, réclamaient plus de justice et au même niveau que les pays européens.
D’ailleurs, le chef de la communication de la présidence, Fahrettin Altun, a déclaré que la loi adoptée en Turquie concernant les réseaux sociaux s’était inspirée des lois existantes notamment en France et en Allemagne.
Ainsi, le parlement turc a validé un ensemble de mesures sur dix articles qui définissent d’une manière claire les obligations que doivent respecter les réseaux sociaux et les plateformes en ligne en Turquie.
Fournisseur de réseaux sociaux
Afin de surmonter les difficultés rencontrées dans les demandes personnelles des internautes ou des institutions publiques, il a été introduit dans la loi sur la réglementation des publications faites sur Internet et la lutte contre les délits en ligne, la notion de « fournisseur de réseau social » afin de pouvoir établir la relation directe avec les sites concernés.
Protection des données personnelles
En cas de diffusion de données personnelles, l’Autorité des technologies de l’information et de la Communication (BTK) pourra demander la restriction de la page concernée afin que le site puisse supprimer les données dans les 4 heures suivant la restriction ? Désormais, la loi protège les données personnelles des citoyens.
Droit de la personnalité
En cas de manquement aux droits de la personnalité, les victimes doivent saisir un juge qui pourra décider de la suppression du contenu.
Un représentant en Turquie
Par ailleurs, comme en France, ces géants de l’Internet génèrent des milliards de chiffres d’affaires sans payer le moindre centime en Turquie.
De son côté, l’Europe étudie la possibilité de taxer ces structures à travers la taxe GAFA. De même, la Turquie souhaite que les réseaux sociaux désignent un représentant en Turquie afin de faciliter le dialogue et de résoudre les conflits plus rapidement. Une implantation qui va également permettre d’imposer les profits engrangés en Turquie.
Si les réseaux sociaux refusent d’ouvrir un bureau de coordination, ils seront soumis à une amende de 10 à 30 millions de lires soit entre 1.2 et 4 millions d’euros.
Blocage du contenu et non de l’intégralité du site
Les demandes de blocage doivent être spécifiques à un contenu et non au site entier. Le BTK va ainsi pouvoir bloquer uniquement la page concernée et non l’ensemble du site. Par ailleurs, le site doit répondre par la négative ou positive dans les 48 heures.
Droit à l’oubli
La loi prévoit également un droit à l’oubli. En clair, elle permet à un individu de demander le retrait sur Internet de certaines informations qui pourraient lui nuire sur des actions qu’il a faites dans le passé en demandant le retrait de l’information sur le site d’origine ou par un déréférencement par les moteurs de recherche.
Serveurs en Turquie
Comme tous les autres pays, la Turquie souhaite protéger les données de ses utilisateurs. Ainsi, les fournisseurs de réseaux sociaux doivent désormais stocker les données des utilisateurs Turcs sur des serveurs en Turquie.
En cas de manquement à toutes ses obligations, les plateformes en ligne se verront infliger des amendes graduelles allant de 10 mille lires (1200 euros) à 100 mille lires (12 000 euros).
En cas de persistance, les autorités peuvent décider la limitation de la bande passante et l’interdiction de publicités sur le site.
Selon les données recueillies par dijilopedi.com, un site spécialisé dans les statistiques numériques, la Turquie compte 62 millions d’utilisateurs d’internet et 54 millions d’utilisateurs actifs des réseaux sociaux.
Ainsi, avec 38 millions d’utilisateurs, Instagram est devenu le réseau social le plus populaire de Turquie suivi de près par Facebook avec 37 millions et 11.8 millions pour Twitter.
Fatih Karakaya