Le spectacle de la rencontre entre le lauréat du prix Nobel de Birmanie (responsable du génocide Rohigas) et Viktor Orban ( l’anti-Islam) met en lumière la menace monstrueuse qui pèse sur les musulmans du monde entier
Aung San Suu Kyi a longtemps été une héroine occidental. Après une longue période d’assignation à résidence, sa bataille solitaire pour la liberté et la démocratie au Birmanie a fait d’elle une icône presque aussi grande que Nelson Mandela. En 1991, elle reçut le prix Nobel de la paix. Mandela l’a reçu ce même prix partagé deux ans plus tard.
Mais les temps ont changé. Depuis qu’elle est conseillère d’État au Birmanie, elle est devenue l’apologiste politique la plus en vue du génocide d’environ 25 000 musulmans Rohingya dans les violences qui eurent lieu en 2017.
700 000 autres personnes ont été chassées du pays. Des groupes de défense des droits de l’homme ont accusé les forces de sécurité du viol systématique de femmes et de filles Rohingyas.
Pourtant, Aung San Suu Kyi estime que la Birmanie n’a rien fait de mal. Mais son mensonge est devenu évident après sa terrible réunion de mercredi avec le Premier ministre hongrois Viktor Orban à Budapest.
«Climat de peur»
Une déclaration publiée après la réunion a révélé que les deux dirigeants avaient beaucoup en commun. En particulier, ils se sont accordés sur « l’émergence de la question de la coexistence avec des populations musulmanes en croissance constante »,
Orban et Aung San Suu Kyi souscrivent aux versions de la thèse du « choc des civilisations » présentée par l’universitaire américain Samuel Huntington dans les années 1990 mais aussi à la peur du « Grand Remplacement », cette thèse qui a été réintroduite en 2010 par Renaud Camus, écrivain français d’extrême droite.
Pour Orban , le christianisme est le dernier espoir de l’Europe face à l’expansion islamique et la Hongrie est la dernière ligne de défense. Cela a conduit Orban à cibler les migrants musulmans, les qualifiant à plusieurs reprises de terroristes.
Pour Aung San Suu Kyi, l’islam représente une menace existentielle pour la culture bouddhiste de la Birmanie. Dès 2013, elle avait été critiquée pour avoir nié le nettoyage ethnique des musulmans de la région, imputant la violence à un « climat de peur ».
L’Occident était tellement impatient de soutenir Aung San Suu Kyi dans sa bataille contre les généraux de la dictature militaire de la Birmanie qu’il a ignoré les signes de son adhésion au nationalisme bouddhiste qui s’est manifesté de manière si brutale ces dernières années.
Rhétorique nationaliste
La bouddhiste Aung San Suu Kyi et le Christian Orban font partie intégrante d’un mouvement politique transcontinental qui considère l’islam comme une menace mortelle pour les pays qu’ils dirigent. C’est un sentiment adopté par la Chine de Xi Jinping, qui mène actuellement un « génocide culturel » contre les Ouïghours du Turkestan oriental.
La situation est étonnamment similaire dans l’Inde de Narendra Modi, où de plus en plus de musulmans font face à un niveau de persécution sans précédent depuis l’indépendance.
Ce rapprochement entre Orban et Aung San Suu Kyi soulève des questions importantes pour le reste d’entre nous. C’est devenu la langue par défaut des régimes de droite et nationalistes pour attaquer leurs minorités musulmanes. L’emprisonnement, le meurtre et la torture ont été justifiés par l’idée que tous les musulmans sont un ennemi intérieur, incarnant la menace existentielle de l’islam.
La même langue anti-musulmane peut être entendue au sein du parti conservateur britannique, au pouvoir, ainsi que du parti de droite, le Brexit, et des vestiges de l’UKIP. C’est un langage courant parmi les partis d’extrême droite sur le continent européen et c’est une horrible perversion de la vérité.
Une menace mythique
Ensuite, bien sûr, il y a le président américain Donald Trump. Ses appels à une interdiction d’entrée des musulmans aux États-Unis et son programme général anti-immigration sont presque identiques à ceux d’Orban.
Et les deux étaient pleins d’éloges et d’admiration l’un pour l’autre quand Orban s’est rendu à la Maison Blanche le mois dernier. Le soutien apporté à Trump par les moines farouchement anti-musulmans de la Birmanie est également bien documenté.
La prétendue menace de l’islam envers l’Occident est un mythe.
Des millions de musulmans se sont installés en Occident pour profiter des avantages de la vie occidentale et contribuer en tant que travailleurs, entrepreneurs et citoyens.
Des millions d’autres militent pour les meilleures valeurs occidentales : liberté de pensée et d’expression, état de droit et égalité des chances face à l’obscurantisme.
Pourtant, le dernier spectacle de la réunion entre Aung San Suu Kyi et Orban devrait constituer un rappel important de la menace monstrueuse que représentent les musulmans du monde entier. Si quelqu’un est menacé, ce sont les Rohingya en Birmanie, les migrants musulmans en Hongrie et les centaines de milliers de Ouïghours encore détenus dans des camps de détention en Chine.
Défier les mensonges
Il y a moins de 25 ans, plus de 8 000 Bosniaques musulmans ont été tués lors du massacre de Srebrenica. Les auteurs serbes de Bosnie de cette parodie ont considéré leurs actions comme une défense de leur identité nationale et ethnique. D’autres continuent à nier que le génocide a même eu lieu. Quand les morts sont musulmans c’est silence total des occidentaux.
Le commandant de l’armée qui a perpétré le génocide à Srebrenica était Ratko Mladic, également connu sous le nom de « boucher de Bosnie ». Il a finalement été reconnu coupable du génocide et condamné à la prison à vie il y a deux ans. Mais lorsqu’il a comparu devant un tribunal en 2011, ses mots étaient les suivants : « J’ai défendu mon peuple et mon pays ».
Combien de temps devons-nous encore écouter les dirigeants mondiaux utiliser ce même langage froid contre les musulmans avant de commencer à remettre en question leurs mensonges et leurs mythes ?
Fatih Tufekci