Le représentant spécial du secrétaire général pour la Libye, Ghassan Salamé, a déclaré mercredi devant le Conseil de sécurité que la mission onusienne qu’il dirige s’efforçait de préserver le cessez-le-feu qu’elle a négocié la veille entre belligérants à Tripoli, la capitale.
Analyse :
Sept ans après l’intervention militaire qui conduisit à la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye s’enfonce toujours plus dans le chaos, devenue aujourd’hui un terrain d’entrainement des pires djihadistes et des trafiquants en tous genres, notamment des trafiquants d’êtres humains.
Et ce n’est pas le cessez-le-feu précaire annoncé mardi par l’ONU qui éteindra durablement le chaudron libyen. Lundi, la ministre italienne de la Défense a ainsi jugé que la France portait « une responsabilité » dans la crise libyenne.
« Il est indéniable qu’aujourd’hui, ce pays se retrouve dans cette situation parce que quelqu’un, en 2011, a privilégié ses intérêts à ceux des Libyens et de l’Europe elle-même ».
L’intervention française a été décidé à la suite d’une campagne de désinformation de la chaîne qatarie Al Jazeera, propriété à l’époque de l’émir Al Thani, relayée par les médias et politiques français. Al jazzera avait alors affirmé que les troupes de Kadhafi allaient massacrer la population de Benghazi alors tenue par les rebelles djihadistes, et notamment des djihadistes étrangers, principalement égyptiens et palestiniens entrés en Libye par l’Égypte et financés par les Qataris.
Cela n’avait pas empêché Sarkozy de lui dérouler le tapis rouge et de lui fournir un système d’écoutes des opposants à son régime via la société Amesys comme l’a révélé Mediapart. Si ce n’est pas la définition même de l’hypocrisie .
Rappel historique :
L’évacuation des bases étrangères fut proclamée l’objectif immédiat par le colonel Qaddhâfî en des termes sans équivoque.
La puissance extérieure de la Libye vient en grande partie de ses richesses pétrolières. Mouammar Kadhafi se révélait rapidement être un nationaliste souverainiste habité par l’idée de protéger son pays et de faire bénéficier à son peuple les revenus tirés des ressources pétrolières et gazières, jusqu’alors détournés et dilapidés par un régime corrompu, celui du Roi Idriss et les compagnies pétrolières. Mais avant d’être une arme au service de buts nationaux, il a fallu que le pétrole lui-même soit sous le contrôle national et libéré de l’emprise étrangère, avec toutes les complications qu’une telle action peut comporter.
Lorsque débute la crise libyenne, le niveau de vie de la population libyenne n’a rien à envier à celui des populations occidentales. C’est le pays qui avait l’indice de développement humain le plus élevé du continent africain. L’électricité et l’eau à usage domestique étaient gratuites ; tout le monde avait accès à l’eau potable. Les banques libyennes accordaient des prêts sans intérêt ; les Libyens ne payaient pratiquement pas d’impôts. La TVA n’existait pas. Le système public de santé, gratuit, était aux normes européennes, tout comme le système éducatif (le taux d’alphabétisation moyen était de 82,6 %). Les meilleurs étudiants libyens poursuivaient leurs études supérieures à l’étranger en bénéficiant d’une bourse du gouvernement. Les produits d’alimentation pour les familles nombreuses étaient vendues moitiés prix sur présentation du livret de famille. Les voitures importées d’Asie et des États-Unis étaient vendus à prix d’usine. Le prix d’un litre d’essence coûtait à peine 8 centimes d’euros.
Le pays, en dépit des sanctions qui lui avaient été imposées, avait tout de même réussi à constituer des fonds souverains à hauteur de 200 milliards de dollars placés dans des banques étrangères, occidentales notamment, et gérés par un organisme public, la libyan Investment Authority (LIA), contrairement aux accusations faisant état d’enrichissement personnel, peu de dirigeants au monde peuvent revendiquer un bilan pareil.
C’est dans le domaine de l’antisionisme et de l’anti-impérialisme que l’arme du pétrole fut employée avec plus de succès. Dans la lutte contre Israël, les dirigeants libyens ont agi sur plusieurs fronts. Ils ont naturalisé certaines compagnies pétrolières soupçonnées de sympathies sionistes ; ce fut le cas notamment de Marathon, dont le propriétaire Max Fisher était considéré comme sioniste par les Libyens. Ils en nationalisèrent d’autres par un « acte de souveraineté » pour punir les États-Unis de leur politique pro israélienne ; ce fut le cas de Bunker Hunt, nationalisée en juin 1973, la première de la série à tomber cette année sous le contrôle libyen. Ils furent aussi les premiers à accepter l’embargo pétrolier contre les pays qui appuyaient Israël et quand les pays arabes décidèrent d’y mettre fin en mars 1974, les dirigeants libyens refusèrent de se joindre à cette décision.
Mais les ambitions de Kadhafi ne s’arrêtent pas là : il prône l’idée d’une monnaie unique africaine, la fabrication d’un satellite africain, etc. C’est-à-dire des réformes nécessaires à la fin du néocolonialisme !
Sur les accusations de terrorisme, des années plus tard, les langues se sont déliées et plusieurs ne preuves sont que la Libye fut injustement accusée des deux attentats.
Se pose naturellement la question de savoir si la guerre et l’élimination physique de Kadhafi valaient vraiment la peine. Le professeur Maximilian Forte estime que dans la logique des stratèges occidentaux, la destruction de la Libye et l’élimination de Kadhafi sont, paradoxalement, « une bonne opération ». Les efforts de Kadhafi pour sortir l’Afrique de l’extrême dépendance vis-à-vis de l’Occident constituaient une menace pour des puissances qui prospère sur le sous-développement et la misère des Africains. Une indépendance économique de l’Afrique et quelque chose d’inacceptable comme le rappelle le professeur Maximilian Forte :
« L’intervention en Libye est aussi une façon d’envoyer un message aux autres États nations africains (…) qu’il y a des limites dans lesquelles ils doivent opérer ».
S’ils se lancent dans un processus de défiance nationaliste et anti-impérialiste, il pourrait y avoir des conséquences qui ne sont plus de l’ordre de l’hypothèse.
KELES Dudu
Coordinatrice des relations internationales pour COJEP INTERNATIONAL à l’ONU
Sources :
– ONU Info
– Le Parisien
– Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman
– Mondafrique