La Démocratie européenne connait une période difficile et ses systèmes de gouvernance sont de plus en plus fragiles.
La Belgique a le record du monde de la crise politique avec 541 jours sans gouvernement. L’Italie et l’Espagne ont eu la plus grande difficulté à réaliser des alliances entre partis politiques faute de majorité. Même l’Irlande a eu du se passer d’un gouvernement pendant des mois.
L’extrême droite et les partis populistes progressent partout en Europe : Pologne, Croatie, et montée de certains partis en Autriche ou aux Pays-Bas. L’Allemagne quant à elle, renoue avec son passé sombre et voit l’émergence de partis islamophobes qui ont remplacé la cible juive par les musulmans.
Un climat démocratique délétère et chaotique semble s’être emparé de l’Europe. Pourtant, la déliquescence politique de ces pays ne les empêche pas de se focaliser sur la politique intérieure d’autres Etats comme la Turquie avec une ingérence dans ses affaires. L’Europe semble vouloir imposer son système de gouvernance et sa vision au peuple turc, avec des systèmes de pressions et des méthodes coloniales. L’Europe ouvre la porte aux partis d’opposition pour le « non » au référendum d’avril ainsi qu’aux soutiens des terroristes du PKK mais expulse ou refuse l’accès à leurs concitoyens aux représentants de l’Etat turc pour expliquer l’objet de la réforme.
La légitimité du Président Recep Tayyip Erdogan vient des urnes et d’une élection remportée au 1er tour à 52%. Le peuple turc ne s’y est pas trompé et a validé son programme et ses valeurs pour une Grande Turquie unie autour d’un même projet : continuer d’obtenir des résultats économiques et assurer la sécurité de ses concitoyens.
Malgré une année chaotique avec une tentative du coup d’état, plusieurs attentats terroristes de DAESH et du PKK, la guerre en Syrie et en Irak à ses portes, une baisse du tourisme, des attaques financières sur sa monnaie, la croissance en 2016 en Turquie a été plus forte que prévue. La stabilité de l’économie et la sécurité ont été assurées par un gouvernement et une diplomatie étrangère qui a su être à la hauteur de ces défis.
La réforme constitutionnelle est un outil indispensable de réformes économiques que le Gouvernement turc s’est engagé à réaliser dans le cadre de sa feuille de route de 2023. Comment un Président pourrait accomplir ce challenge sans se doter des pouvoirs décisionnels qui lui permettront d’atteindre ses objectifs et de rendre des comptes au peuple turc ?
La Turquie a subi dans le passé des blocages liés à un système de coalition, dont les échecs n’ont jamais été assumés par les partis au pouvoir. Recep Tayyip Erdoğan propose l’inverse : assumer son programme politique et les résultats de son mandat.
Le régime semi-présidentiel en France l’illustre parfaitement : les pouvoirs sont donnés à une majorité qui en bout de mandat est plébiscitée (ce n’est pas arrivé depuis longtemps) ou tout simplement est éliminée faute de résultats avec un système d’alternance voté mais finalement subi par les français.
La situation chaotique au Moyen-Orient, l’émergence des pays du Sud et une mondialisation économique agressive obligent tous les pays à mener des actions réactives et de facto à se doter de moyens d’interventions efficaces de gouvernance qui soient à la hauteur des enjeux auxquels ils doivent faire face. La Turquie l’a compris et se donne les moyens de son ambition. Cette audace déplaît et inquiète ses détracteurs qui connaissent le potentiel économique exponentiel de la Turquie. La plupart souhaitent influencer la politique intérieure turque, voire la déstabiliser.
Il est temps de revoir notre référentiel de démocratie et reconnaître que cette réforme constitutionnelle est un outil indispensable à la réalisation du projet d’une Grande Turquie.
Une constitution taillée sur mesure
Le système parlementaire turc date de 1923. A l’époque, Mustafa Kemal Atatürk est devenu le président de la République et Ismet Inönü son Premier Ministre. Aucun autre candidat ne prenait part à ses élections. Malgré cela, la période de la présidence de Mustafa Kemal et d’Inönü fut très mouvementée à tel point que Mustafa Kemal demanda la démission d’Ismet Inönü qui quitta ses fonctions pour raisons médicales.
C’est seulement en 1950 qu’une élection « démocratique » se tiendra. Rappelons simplement que la gouvernance de la Turquie a été marquée par un temps record de coalitions donc d’instabilité politique et de blocages économiques. Ces coalitions ont engendré des élections anticipées systématiques. Depuis 1923, pas moins de 63 gouvernements, au lieu d’une vingtaine, se sont succédé. L’explication principale : les différences idéologiques profondes entre ces partis rendent impossible le fait de pouvoir gouverner ensemble.
Cette instabilité a d’ailleurs conduit l’armée turque à renverser à plusieurs reprises les gouvernements élus démocratiquement. En 1980, un coup d’état, sous l’autorité du général Kenan Evren, a suspendu le gouvernement démocratique en place. La junte militaire interdit tous les partis politiques. La Grande Assemblée Nationale a été dissoute. Le 23 septembre 1982, une nouvelle constitution préparée à la demande d’Evren a été soumise à un référendum.
Non seulement il était interdit de faire de la propagande pour le « NON » mais il était impossible de boycotter les urnes! Conséquence, la constitution a été approuvée à 92%. A l’époque l’Europe ne parlait pas encore de dictature ni d’autoritarisme! Par ailleurs, l’approbation de la Constitution attribuait automatiquement à Kenan Evren le droit de devenir Président de la République sans le vote du Parlement.
Actuellement cette constitution est toujours en vigueur avec quelques modifications notamment les modalités d’élections du Président de la République. Une constitution attribuant tous les pouvoirs à un président sans pour autant le rendre responsable devant la justice. Ainsi le général Kenan Evren décidait de tout mais l’exécutant étant son premier ministre, lui seul, était responsable.
L’article 104 de la Constitution actuelle prévoit les pouvoirs du président mais la réforme constitutionnelle modifie ce statut, le président pourra dorénavant être poursuivi en justice.
Des avancées considérables
L’autre élément important à souligner est la situation de l’état de siège (loi martiale). En effet, la Turquie a eu recours plus souvent à la loi martiale que l’état d’urgence. Et cette situation était un moyen pour les gouvernements de contrôler les opposants et surtout de justifier le coup d’état.
Or avec le projet de réforme, l’état de siège n’existe tout simplement plus. Dans ce cadre, on ne peut que se féliciter de telles avancées.
La France donne des leçons de démocratie en matière de séparation des pouvoirs, mais dans le même temps son Premier Ministre Manuel Valls a mis sous tutelle par décret la Cour de Cassation (juridiction supérieure de l’autorité judiciaire) avant de démissionner et se présenter à l’élection présidentielle. Il faut aussi se rappeler du Traité de Lisbonne rejeté par les citoyens mais approuvé quand même par les députés.
La Turquie a fait évoluer sa constitution et ses lois antiterroristes progressivement tout comme la France le fait depuis plusieurs décennies, sans ingérence à d’autres pays.
Le système parlementaire n’est plus adapté à ce pays à l’économie florissante qui a besoin d’achever des réformes civiles et économiques majeures. Si la Turquie est devenue membre du G20 c’est uniquement grâce à une stabilité gouvernementale depuis 15 ans. Peu importe que l’AK Parti soit au pouvoir, si un autre Parti avait réussi à obtenir le même résultat il aurait certainement été maintenu au pouvoir. Ce ne fut pas le cas. Ce système présidentiel est inspiré des systèmes de plusieurs pays comme les Etats-Unis ou la France et reprend certaines traditions politiques propres à la Turquie.
Le fait que le Président nomme des magistrats n’est pas une mise sous tutelle de la justice. Preuve en est qu’en France, le Président valide ou non les propositions de magistrats, la nomination finale lui revient.
Quel genre de démocratie?
On se demande pourquoi les citoyens doivent élire un président sans pour autant lui donner les moyens de gouverner.
Trump aux Etats-Unis apprend à ses dépends que le Président américain n’a pas autant de pouvoir qu’on le pense. Ainsi après des mois de primaires, des semaines de campagnes, des milliards dépensés, Trump expérimente le pouvoir du Congrès. Pourquoi élire un président alors?
La Turquie cherche son chemin. Elle a perdu énormément de temps et donc d’années de réformes qui restent à effectuer. Le pays tout entier subit cette situation.
L’Occident a choisi une voie qui mène de plus en plus vers l’extrémisme et le populisme par une insatisfaction permanente des politiques. En Turquie, le Président Erdogan dirige avec la devise « Gouverner c’est prévoir » afin d’éviter ce chaos et ces blocages.
Le peuple lorsqu’il désigne au suffrage universel direct un Président s’attend à ce que celui-ci puisse exercer ses responsabilités et surtout mettre en œuvre son programme. Donc un bon système de gouvernance doit absolument offrir un gouvernail au capitaine pour qu’il puisse garder le cap dans la tempête mais aussi pour faire arriver son programme à bon port. En Turquie cette feuille de route est fixée pour 2023, reste à offrir au gouvernement les moyens de la mettre en œuvre avec le « OUI » à la réforme constitutionnelle.
Quel que soit le Président élu, ce système lui permettra de gouverner avec de véritables moyens et d’éviter des coalitions qui paralysent un pays et une économie. Car l’économie est bien entendu au centre de la politique d’un gouvernement. L’AK Parti l’a compris.