Qu’il semble loin le temps où l’Hexagone avait du poids sur la scène internationale, pouvait infléchir les plus capitales des décisions et trônait, avec l’Allemagne, sur l’Europe. Qu’il est loin le temps, aussi, où ses dirigeants avaient la sagesse de ne pas emmêler leurs pinceaux, savaient gérer -pas transposer ouvertement- les crises et enrober l’interventionnisme, pourtant descendant direct de la colonisation et une constante de la politique étrangère française.
Faire oublier la débandade interne
Les dernières municipales ont constitué une réelle déroute pour la majorité du président Macron qui n’a recueilli que 9% du suffrage, payant cash des revers à répétition, aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur, subis par son leader, un novice révélé en politique.
De la révolte des « Gilets jaunes » à la gestion catastrophique de la pandémie du Coronavirus, de l’enlisement dans nombre de pays africains à l’affaire de la frégate Courbet (empêchée par la marine turque de faire le gendarme de la Méditerranée) dont Paris a voulu tirer une condamnation sans appel d’Ankara par l’OTAN, pour n’obtenir le soutien que de huit de ses trente membres…les récentes déconvenues ne manquent décidément pas.
Elles prennent même une plus grande dimension lorsqu’elles s’accolent aux rejaillissements de scandales politico-financiers retentissants ou d’affaires de pédophilie impliquant des militaires français, supposés apporter la paix en Afrique, qui ont fait la Une de tous les médias.
Quoi de meilleur, dans ces conditions, que de vouloir détourner l’attention de l’opinion publique locale et internationale, en la dirigeant sur une autre cible et sous d’autres cieux, en titillant, au passage, un sentiment islamophobe aiguisé, il est vrai, par des attentats, voire des atrocités (on a tendance à oublier que l’assassinat de Khashoggi en est également une, en pire), perpétrés par des terroristes égarés?
Cible de la France : la Turquie
Et pour la France, la Turquie ainsi que son président, Recep Tayyip Erdogan sont tout désignés pour être dans ce point de mire dérivatif.
Ils font d’abord partie du monde musulman et ils sont de surcroît, dans une approche politique et stratégique diamétralement opposée à la sienne.
C’est ainsi qu’officiellement tout comme à travers quelques médias, ils ont été diabolisés, accusés éhontément de tous les torts, dont ceux-là mêmes qui ont confondu Paris et qui ont largement écorné sa crédibilité.
À commencer par les forces spéciales mises à la disposition du général Haftar en Libye et les missiles anti-chars français retrouvés dans la base aérienne d’Al Wattia, reprise à l’armée de ce dernier.
Comment crier au non respect turc de l’embargo imposé à la Libye alors qu’on est le premier à l’avoir transgressé et au moment même où l’on passe sous silence la présence d’armements d’autres pays à l’Est libyen, tenu par le Maréchal et son armée? Sérieux, quand tu nous fais défaut…
Les alliés gênants de la France
Cela explique, d’ailleurs, la tiédeur manifestée par les alliés traditionnels de la France, face à cette campagne.
Ces mêmes alliés qui savent la part active prise par l’armée tricolore dans le génocide du Rwanda, ainsi que sa responsabilité dans les massacres de musulmans, entre autres, en République Centrafricaine et en RDC, sans parler du pillage économique systématique du continent, malgré la fin officielle de la colonisation.
Aussi, Macron et ses lieutenants deviennent-ils hystériques lorsqu’on leur rappelle tout cela, comme l’a fait Mevlut Cavusoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, qui leur a rafraîchi la mémoire, en déclarant ouvertement le 30 juin dernier, que « la France n’est en Libye que pour défendre ses intérêts propres ».
Entendre qu’elle n’a que faire du sort du peuple libyen, actuel et futur. D’ailleurs, n’est-ce pas elle qui a déclenché, en 2011, l’une des opérations les plus destructives sur ce pays, pour le lâcher ensuite, à l’anarchie?
Il serait inutile de nous étendre, ici, sur la dernière tentative française qui s’insère dans la même démarche et qui consiste à faire percevoir au monde la récente décision de convertir le musée national Sainte-Sophie (ancienne cathédrale byzantine) Ayasofya (en turc) en mosquée, comme un « crime contre l’humanité » et comme une provocation pour l’ensemble des Chrétiens. Cela serait futile, tant l’histoire regorge d’exemples, dans les deux sens…
Une approche à hauts risques
Mais le plus dangereux c’est que la France ne s’est pas contentée de se désigner un « ennemi » musulman, à l’extérieur seulement. Elle s’en est fait un autre intra muros en jouant sur la même fibre, ce qui va, à terme, se retourner contre elle et pourrait même provoquer une gravissime implosion.
En effet, se faisant l’écho d’un rapport sénatorial sur la « radicalisation islamiste » qui préconise des mesures qui tiennent davantage de l’islamophobie, que de la gestion d’un phénomène réel et aux facettes multiples, comme le renforcement du maillage étatique et du renseignement territorial, la réinstauration des tribunaux de proximité, la fermeture automatique des espaces, des associations et des lieux de culte « douteux », le nouveau Premier ministre, Jean Castex et son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanian, ont donné la semaine dernière, le ton de ce que sera la politique du nouveau gouvernement.
Mot magique : communautarisme
Ils ont, en effet, exprimé leur volonté de lutter contre le communautarisme et ce qu’ils appellent l' »Islam radical » qui fait, selon eux, le lit du terrorisme. Cela a de fortes chances de déboucher sur des excès, des
inquisitions des temps modernes et un vrai séparatisme dans la société française entre musulmans et chrétiens, avec ce que cela suppose comme suspicion, animosité, sentiment d’exclusion, cloisonnement, conflits et implosion.
Certes, le terrorisme a fait, depuis 2015, près de 250 morts en France, mais de sages voix s’élèvent déjà contre et le rapport sénatorial et le programme annoncé par le nouveau gouvernement de Macron, dans ce sens.
Elles y voient un accès direct à toutes les dérives. A commencer par Lucille Rouet, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, qui préconise « davantage de proximité civile que de mesures répressives ».
Tout comme Adeline Hazan, contrôleure des prisons, qui dresse un bilan fort critique sur la gestion des prisonniers radicalisés qu’elle trouve, entre autres, « discriminatoire, aux contours ambigus, à la limite de la légalité et peu réfléchie parce que sans perspectives sociales ou professionnelles, à la sortie de prison ».
Entendra-t-on ce son de cloche et se rappellera-t-on que l’extrémisme et le terrorisme dans le monde musulman ont été créés, manipulés, utilisés, soutenus, nourris ou cultivés par l’Occident, dont cette chère vieille France?