D’après le site d’information Medyaturk Info, un citoyen d’origine turque s’est vu refuser la nationalité française pour ses positions politiques. « Votre engagement politique envers votre pays d’origine étant avéré, votre loyalisme envers notre pays et ses institutions n’est pas garanti », pouvait-on lire dans la lettre de refus envoyée par le ministère de l’intérieur.
Murat Buyuk, père de famille de 47 ans vit en France depuis 43 ans. Il est arrivé en France à l’âge de 4 ans dans le département du Jura, précisément dans la ville de Dole.
Après ses études, il a exercé plusieurs métiers avant de créer sa propre entreprise dans le domaine du bâtiment. Aujourd’hui, il travaille en tant que chargé de projet dans une entreprise privée.
Le français, il le maîtrise parfaitement, Il connaît très bien la culture et l’histoire de la France. Comme il le dit lui-même dans une lettre ouverte adressée au ministre français de l’intérieur, « sa plume est beaucoup moins talentueuse que celle de Zola mais néanmoins tout aussi virale ».
L’instruction dure 2 ans
En 2018, il décide de déposer une demande de naturalisation auprès de la préfecture.
Après 2 ans d’instructions, il a reçu, samedi 18 janvier, une lettre recommandée de la part du ministère de l’intérieur, qui lui signifie que sa demande est refusée.
Ainsi, dans cette lettre, les autorités françaises lui reprochent « un engagement politique envers le pays d’origine ». Ce qui serait donc « un manque de garantie pour son loyalisme envers la France et ses institutions ».
Ce verdict, pose énormément de problèmes, juridiques d’une part, et éthiques d’autre part.
En premier lieu, la notion « d’engagement politique envers votre pays d’origine » est très vague. En effet, le candidat à la naturalisation n’est pas un membre d’un parti quelconque en Turquie. Il n’a jamais été candidat non plus. La seule chose qu’il ait fait, c’est de prendre position à titre personnel concernant les élections en Turquie, et ce uniquement sur Facebook. De ce fait refuser la nationalité française pour ce motif semble hors sujet.
Pourtant, cette prise de position n’est pas rare ou unique. Grand utilisateur des réseaux sociaux, Murat Buyuk exprime également son avis sur ce qui se passe en France, notamment la réforme des retraites ou le mouvement des gilets jaunes.
D’ailleurs, comment peut-il faire autrement ? D’un côté, il a 43 ans de vie en France. Chaque décision politique le concerne. Et ces décisions peuvent l’affecter directement comme les millions de Français. Les décisions politiques de la Turquie le concernent également. Lui qui a encore la majorité de sa famille dans son pays d’origine. Il est directement impliqué dans le bien-être de sa sœur, ses neveux et nièces, ses oncles, tantes, cousins ainsi que les cousines.
De ce fait, en tant que citoyen turc d’origine et Français d’âme, il use de son droit à la liberté d’expression. En quoi cela pose problème aux autorités ?
Allégeances aux pays étrangers
En second lieu, cette décision est purement choquante et non éthique dans la mesure où des cas similaires existent notamment dans le domaine politique. Pourtant, ces hommes politiques, qui eux font réellement de la politique contrairement à Murat Buyuk, n’ont jamais eu de reproches.
Pour ne citer que deux exemples, il y a d’abord le cas de Meyer Habib. Député UDI (Union des Démocrates et Indépendants) des Français de l’étranger, il n’hésite pas à afficher son attachement à Israël. Par exemple, le magazine Marianne, dans son édition du 15 novembre 2018, rapportait que « le député Meyer Habib, coutumier d’une conception très centrée sur Israël de son mandat de député de la Nation, a utilisé le cachet de l’Assemblée nationale pour exprimer son soutien au candidat Moshé Léone dans la course à la mairie de Jérusalem ».
De plus, le même député, a pour habitude d’apporter son soutien inconditionnel à Benjamin Netanyahu. Il s’implique personnellement dans les campagnes de ce dernier.
Le cas Valls
Il existe un autre cas flagrant d’allégeance à un pays étranger qui n’a jamais posé de problème non plus. En effet, il s’agit du cas de Manuel Valls qui a été maire, ministre puis Premier ministre en France. Lors d’une interview en juin 2011 à la radio juive, Manuel Valls qui n’est pas encore ministre à l’époque, affiche publiquement son attachement à Israël. Depuis, la vidéo a été supprimée du site de la radio ainsi que des plateformes de partage de vidéos. D’autres utilisateurs ont rapidement publié à nouveau la vidéo.
D’autant plus que, par la suite, après son mandat de Premier ministre en décembre 2016 et lorsqu’il était simple député, celui qui possède la double nationalité française et espagnole a quitté la politique française pour se lancer à la course à la mairie de Barcelone en Espagne.
Les turcs particulièrement visés
Or, sa « loyauté » n’a jamais été remise en cause. Dans ce cas de figure, le cas de Murat Buyuk, qui n’est pas un homme politique, semble ridicule.
Ainsi, on constate une certaine forme d’hypocrisie de la part du ministère de l’intérieur qui vise expressément « certaines pensées politiques ». De ce fait, on peut clairement en déduire que « le délit d’opinion » est de nouveau en vigueur même s’il n’y a pas d’emprisonnement. Mais refuser la nationalité française est déjà en soi une condamnation.
A la vue des ces éléments, on comprend alors que seule une position pro-Erdogan n’est pas acceptée en France. Pour vérifier cette thèse, il faudra prendre le cas d’autres Turcs qui ont fait la demande de naturalisation. Au contraire, ceux qui sont très critiques à l’égard du président Erdogan même s’ils sont dans un « engagement politique envers leur pays d’origine », il n’est pas certain que la demande soit refusée pour ses mêmes motifs.
Contacté par Anadolu, Murat Buyuk est tellement abasourdi par cette décision qu’il a décidé de ne pas faire appel. Selon ses mots, « il pensait avoir servi suffisamment la France pour mériter une reconnaissance officielle ». Aujourd’hui, il est incapable d’expliquer à ses enfants, pourquoi il s’est vu refuser la nationalité française. Même si cela ne change rien à sa vie, il se demande quand même si désormais, « il doit réfléchir deux fois avant d’exprimer son opinion ».