Le Sénat français a adopté cette semaine un amendement interdisant le port de signes religieux pour les parents accompagnateurs, lors des sorties scolaires. Une décision dont se félicitent Les Républicains (LR) à l’initiative de cet amendement mais décriée pas des associations qui dénoncent son caractère discriminatoire et islamophobe.
Dans le cadre du projet de loi sur “l’école de la confiance” et à l’initiative du groupe Les Républicains (LR), un amendement interdisant le port de signes religieux dits ostentatoires pour les parents accompagnants lors des sorties scolaires, a été adopté. Un amendement dont se félicite le groupe LR mais décrié par plusieurs sénateurs de gauche ainsi que de nombreuses associations qui dénoncent le caractère discriminatoire et islamophobe d’une telle mesure législative.
Débattu ce mercredi 15 mai au Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi Blanquer, l’amendement numéro 100 quater porté par les sénateurs Les Républicains (LR) Jérôme Bascher, Jacqueline Eustache-Brinio et Bruno Retailleau, visant à “combler un vide juridique concernant l’application du principe de laïcité lors des sorties scolaires”, a été adopté en première lecture par 186 voix pour, 100 contre et 159 abstentions.
L’amendement vient compléter le Code de l’éducation et sa loi de 2004 qui interdit “le port dans les écoles, collèges et lycées publics de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse” en y intégrant “les sorties scolaires”.
Lors des discussions qui ont précédé le vote, le texte a été défendu par plusieurs sénateurs comme Françoise Gatel (UDI) affirmant qu’“une sortie d’école, est aussi une activité scolaire”, faisant valoir ainsi que les accompagnateurs devaient être soumis à l’obligation de neutralité religieuse au même titre que les enseignants.
La sénatrice du groupe Union centriste (UC), Sylvie Goy-Chavent, a également soutenu la proposition d’amendement déclarant : “Pourquoi porter un signe religieux ostentatoire pose problème ? Car cela rompt avec l’harmonie entre les Français, quelle que soit leur origine, parce que ça choque en réalité. Notre rôle ici est de ne de pas autoriser par la loi ce qui alimente cette rupture d’harmonie et alimente les haines”, et d’ajouter : « le voile, quel qu’il soit, n’est pas un simple accessoire de mode ou vestimentaire au même titre qu’une soutane ou un kesa bouddhiste, il est un signe ostentatoire d’appartenance religieuse”.
Les sénateurs de gauche ont pour leur part dénoncé cet amendement arguant le risque de stigmatisation. Selon la sénatrice du Parti Socialiste (PS) des Hautes-Pyrénées, Viviane Artigalas : “La laïcité ne doit pas servir de prétexte à tout est n’importe quoi”. “Il y a des quartiers où il n’y aura plus de sorties scolaires”, a ajouté Jean-Louis Tourenne, également sénateur PS.
La sénatrice PS d’Ille-et-Vilaine, Sylvie Robert, a quant à elle dénoncé de “vieilles obsessions, qui font qu’on déplace le débat (…) ce n’est pas un débat juridique, c’est un débat politique ». Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération-s, a rappelé qu’il s’agit avant tout “de parents, ils tiennent la main de l’enfant, lui disent de faire attention quand il traverse”. “Il faut faire en sorte que la diversité puisse s’exprimer, sans qu’il y ait de stigmatisation”, a-t-elle souligné.
Quant au ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, si ce dernier reconnaît la nécessité d’instaurer des règles il considère néanmoins que cette mesure “contreviendrait à un avis récent du Conseil d’Etat et poserait tout un tas de problèmes pratiques, qui iraient à l’encontre du développement des sorties scolaires”. Arguant qu’il pourrait donc y avoir “quelque chose de contre-productif en ayant une mesure législative en la matière”, il a déclaré néanmoins “respecter ceux qui pensent le contraire”.
Suite à l’annonce de l’adoption de l’amendement par les sénateurs LR via leur compte twitter, plusieurs voix se sont élevées déplorant un texte discriminatoire visant principalement les accompagnatrices de confession musulmane portant le voile.
Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité, a mis en garde les sénateurs LR par le biais des réseaux sociaux leur notifiant que “la laïcité ne peut pas être juridiquement invoquée pour ne cibler qu’une seule conviction. Car elle garantit un État neutre et impartial et un cadre commun à tous. En outre la laïcité n’impose la neutralité qu’à ceux qui exercent le service public”. Il dénonce un amendement qui selon lui “s’appuie sur le fait qu’ils sont « collaborateurs occasionnels du service public ». Or cette appellation est purement fonctionnel (assurance). Ça ne signifie pas qu’ils exercent le service public, donc ils ne sont aujourd’hui pas soumis à la neutralité”. Ce dernier s’est référé à l’étude du Conseil d’Etat du 19 décembre 2013, rendue en assemblée générale et remise au Défenseur des droits, dans laquelle il est précisé que les parents accompagnateurs bénévoles ne sont pas soumis à la neutralité et qu’ils demeurent donc libres de porter des signes religieux lors des sorties scolaires.
Au-delà de la sphère politique, l’amendement, a été décrié par de nombreuses associations et militants de défense des droits de l’homme et de lutte contre les discriminations, dénonçant le caractère stigmatisant et islamophobe d’une telle mesure législative. Une polémique qui enfle sur les réseaux sociaux où les défenseurs du vivre ensemble rappellent le premier principe de la laïcité qui est le respect de la liberté de conscience.
Selon Zeynep, militante d’ORIW, interrogée par l’Agence Anadolu (AA) : “L’adoption d’un tel amendement reflète une fois de plus le degré d’hostilité à l’égard de la communauté musulmane de France puisque même si le voile n’est pas explicitement cité, il est évident que les personnes visées par cette mesure sont les mères accompagnatrices qui portent le hijab. C’est d’autant plus inacceptable lorsque l’islamophobie émane de textes de loi votés par nos élus permettant ainsi d’instrumentaliser et détourner les principes de la laïcité dans le but d’exclure un peu plus les femmes de confession musulmane de la société”, a-t-elle partagé.
Via son site internet le CCIF qui dénonce “une énième tentative d’instrumentalisation de la laïcité afin d’exclure une partie des concitoyennes de la participation des sorties scolaires en raison du port du foulard”, a lancé une campagne de mobilisation afin de “garantir une égalité pour toutes les mamans”.
Quant au président du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM,) Ahmet Ogras, il s’est adressé aux sénateurs LR via son compte twitter pour dénoncer la mesure en leur rappelant que “la neutralité ne s’impose qu’aux agents du service public”, puis d’ajouté que “cette interdiction est une violation non seulement des droits individuels des femmes voilées mais aussi de la #laïcité que vous prétendez protéger”.
Ce Vendredi 17 mai, le Sénat a achevé l’examen des articles du projet de loi pour “une école de la confiance” après avoir adopté 60 amendements dont celui interdisant le port de signes religieux pour les parents accompagnateurs. Les sénateurs se prononceront sur ce texte par un scrutin public solennel mardi 21 mai. Le résultat sera proclamé en séance dans l’après-midi.
Source AA
Images d »illustration : Blog Espoir 2013